Le pluralisme religieux: 3. Djihad

Après deux premiers billets et après la conférence organisée par l’IAM mardi dernier au Centre-Sèvres intitulée « Afrique: Laïcité et liberté d’expression après le 11 janvier 2015 » au cours de laquelle nous avons pu nous rencontrer sur fond d’une philosophie commune concernant l’expression de nos convictions – ou de nos préventions – respectives et de notre aptitude à vivre ensemble malgré tout, je ressens volontiers personnellement du goût à poursuivre l’exploration des composantes de cet univers de pluralisme religieux auquel nous sommes invités à nous joindre chaque jour davantage, où que ce soit dans le vaste monde !

Une amie m’a montré la semaine dernière un ouvrage publié en français par Gallimard Jeunesse en avril 2014, sous forme d’un très bel album : Encyclopédie des religions, de Philip Wilkinson et Douglas Charing, 304 pages, véritable introduction des adolescents à une première initiation à l’ensemble des religions de l’humanité : elle l’offrait à son fils de dix ans, élève d’un établissement catholique. On se souvient que d’octobre 2012 à février 2013 c’est un grand public qui visitait au Petit Palais de Paris l’exposition Dieux : modes d’emploi, organisée par Elie Barnavi et accueillie par Bertrand Delanoë, maire de Paris : ‘En élargissant notre horizon commun, elle fait progresser la connaissance collective d’un genre humain taillé dans la plus grande diversité. Or seule la connaissance de l’autre, rend possible sa reconnaissance – ce dont dépend notre humanité la plus intime’.

Au-delà des ‘modes d’emploi’ de la divinité objectivement repérables selon les différentes religions, c’est plus encore l’esprit dont chacune d’elles nous fait la proposition de nous inspirer qui fera la possibilité pour les humains de communier de quelque manière entre eux, à travers leurs différences. Proposons-nous aujourd’hui d’entrer, après l’invitation chrétienne à la christité, à l’invitation musulmane au djihad.

Peut-être en ces temps de troubles dans diverses régions de monde plus particulièrement musulmanes (Moyen-Orient, Afrique, Asie) mais aussi d’actes terroristes singuliers jusqu’au cœur de régions occidentales (à Paris et Copenhague en janvier et février 2015), le seul emploi du mot ‘djihad’ éveille-t-il déjà en nous, à lui tout seul, une forme de violence radicale particulièrement odieuse, armée et destructrice de biens et de vies. On se gardera cependant, ici, de réduire la compréhension de ce mot à des formes de menace et de conquête de territoires et de vies à la pointe du glaive ! Si le mot ‘djihad’ revêt bien, analogiquement, plusieurs sens particuliers, jusqu’aux formes de violence les plus radicales, ce sens ultime n’en est ni le sens originel ni le sens commun, et rien ne permet de penser que Mahomet le prophète en ait fait un article de la Foi et du Coran …dont il n’a pas rédigé la moindre ligne. C’est la chance, qui reste aux religions, de pouvoir remonter de l’esprit des commentateurs qui se sont efforcés d’écrire en mémoire de ce qu’ils ont entendu, aux Fondateurs – Bouddha, Jésus, Mohamed – qui se sont bien gardés d’écrire eux-mêmes le contenu de ce qui fut leur inspiration : la Parole nait du Silence !

Et en ce temps historiques où se renouvellent, semble-t-il, bien des perceptions, bien des connaissances, bien des relations et bien des comportements dans quasiment toutes les sociétés humaines appelées à vivre plus que jamais en très grande proximité – invitées et pressées à ‘communiquer’ entre elles selon des technologies toujours plus surprenantes –, faisons l’hypothèse que le continent musulman pourrait être en train de vivre une métamorphose aussi importante que celle que le continent chrétien a connue au cours des deux derniers siècles : la distanciation entre religion et pouvoir, spiritualité et mondanité, distinction entre sociétés spirituelles (plurielles) et société civile (commune), au sein d’une civilisation urbaine dite ‘moderne’. Pour le monde de l’islam, l’attentat du World Trade Center de New York le 11 septembre 2001 est sans doute l’évènement historique majeur constitutif d’un processus initial dont les répercussions sont encore loin d’être achevées : ce sera le travail et l’œuvre de plusieurs générations, comme ce le fut pour les chrétiens – et le demeure encore pour beaucoup d’entre eux !

L’initiative de musulmans radicaux a donné au monde une image terroriste de leur religion. Mais c’est au roi Abdallah d’Arabie saoudite – qui vient de décéder à 90 ans à la tête de la monarchie peut-être la plus conservatrice, guidée par le wahhabisme, doctrine rigoriste de l’islam – que revint l’initiative d’organiser à Madrid en 2008 une conférence sur le dialogue entre religions, s’achevant par un appel à un « accord international » pour combattre « les causes profondes » du terrorisme : « Le terrorisme est un phénomène universel qui doit être combattu sérieusement, de manière juste et responsable, grâce à un effort international commun », dit le communiqué final de la conférence. Le roi Abdallah avait inauguré lui-même cette conférence, s’adressant à quelque 200 personnes – dont des représentants des religions musulmane, chrétienne, juive et bouddhiste –, les invitant à un ‘dialogue constructif pour ouvrir une nouvelle page de réconciliation après tant de disputes entre religions’, et pour trouver des « voies pour améliorer l’entente et la compréhension entre les peuples, malgré leurs différences d’origine, de couleur ou de langue…et rejeter l’extrémisme et le terrorisme ». Les organisateurs du forum ont aussi invité l’ONU à organiser une « session spéciale sur le dialogue », qui « entérinerait les conclusions » de Madrid et permettrait de « promouvoir le dialogue entre les adeptes des religions, des civilisations et des cultures ». Les représentants du Vatican et du Congrès juif mondial avaient aussi participé aux débats, abordant des sujets comme les restrictions au port du voile dans certains pays européens, le conflit israélo-palestinien ou les caricatures controversées de Mahomet… Des théologiens qui y participaient avaient appelé à davantage d’égalité entre hommes et femmes, ces dernières ayant été trop oubliées et marginalisées dans les religions. Et Mgr Tauran (Le Vatican) soulignait pour sa part que la conférence avait surtout mis l’accent sur « les principales convictions que nous avons en commun ».

Toutes les religions disent volontiers que « les principales convictions que nous avons en commun » sont simplement l’Amour de Dieu et des Hommes. Aimer: c’est en quoi consistent leurs énergies intérieures, inspirant toutes les formes extérieures par lesquelles cet Amour entend, ambitionne, prétend se dire. Et si cet esprit s’exprime en christité dans le continent spirituel chrétien, c’est de djihad qu’il s’agit surtout dans le continent spirituel musulman, fondement et achèvement de l’Oumma, de l’islam comme de tout islamisme. Djihad signifie l’effort par lequel l’homme parvient à son excellence, la sainteté, et devient calife (ou vicaire) de Dieu sur terre – comme il en est l’image et le fils dans le monde judéo-chrétien. Le djihad revêtant les formes les plus extrêmes du combat et de la guerre contre ce qui fait obstacle à cet épanouissement de l’Homme, il y a lieu d’en distinguer les formes majeures (ordinaires) – contre ses passions intérieures, personnelles et collectives – et les formes dites mineures (exceptionnelles) – contre ses ennemis extérieurs. Le djihad essentiel se concentre dans la mystique musulmane (soufisme) s’intéressant au domaine des pratiques intérieures, principalement aux règles orientant le comportement de l’esprit et du cœur, et leur soumission aux lois divines. Tarek Oubrou, grand imam de Bordeaux, tout en concédant que le soufisme ‘ne concerne qu’une élite musulmane en quête de sainteté’, souligne qu’il en est l’esprit le plus précieux, qui éveille l’humain à sa ‘conscience de n’être pas la mesure de toute chose, que son monde ne constitue pas la totalité du monde, ni son histoire toute l’histoire de l’univers… mais contribue à l’avènement d’une conscience des liens qui unissent les éléments d’un monde complexe, à ce qu’elle prétend indéfiniment explorer et exploiter. Le Coran rappelle cette condition humaine : « Vous n’avez acquis qu’une infime partie du savoir ». Ce passage peut se conjuguer au présent et au futur. En effet, le savoir n’est qu’un moyen de nous faire découvrir nos ignorances. L’ignorant, lui, ne sait ce qu’il ignore.’ (cf Valeurs d’Islam – Coran : clés de lecture, 2015).

Dans les relations de l’islam au monde extérieur (djihad mineur), le Roi Abdallah prit l’initiative de créer le Centre international pour le dialogue interreligieux et interculturel, en novembre 2012, plate-forme mondiale pour le dialogue entre les adeptes des diverses religions et cultures. Le siège en est à Vienne avec le soutien des gouvernements d’Arabie saoudite, d’Espagne et d’Autriche qui en forment le Conseil des Parties (le Vatican est fondateur-observateur) ; il est régi par un conseil d’administration, composé de représentants des grandes religions du monde (judaïsme, christianisme, islam, hindouisme et bouddhisme) et des cultures. Et il organise des conférences et des programmes de formation, invitant à se réunir pour discuter de changements dans le domaine des affaires interculturelles et interreligieuses. En 2013, KAICIID a lancé ce programme en Europe/Méditerranée, en Afrique (le 26 août, à Addis-Abeba, en partenariat avec la Commission de l’Union africaine et des Religions Unies – Initiative Afrique), en Asie, en Amériques. Fin novembre, à son siège, à Vienne, cinq cents experts, décideurs politiques et leaders religieux provenant de 90 pays et travaillant dans les domaines de l’éducation et de la religion, des médias et de l’Internet participaient au Forum mondial KAICIID sur l’image de l’Autre. Ce programme pluriannuel veut explorer la façon dont les « autres » sont appréciés et, à travers quatre ateliers régionaux, mettre en évidence l’importance de l’enseignement interculturel et interreligieux pour promouvoir la compréhension mutuelle dans un esprit de dialogue. (Voir sur internet : kaiciid.org).

Le continent spirituel musulman est conscient des troubles qui l’agitent et conduisent son évolution tant en Europe qu’en Tunisie, en Egypte, en Arabie… et partout ailleurs. Si ses violences les plus extrêmes requièrent l’attention critique de tous, un atelier sur le Pluralisme religieux peut être le plus fécond en s’attachant néanmoins plus spécialement au meilleur de son esprit. En annexe est proposée la réflexion d’Abdennour Bidar, musulman français, membre de l’Observatoire français de la Laïcité, qui appelle de tous ses vœux l’évolution de son Cher monde musulman, et de ses forces immenses prêtes pour contribuer à l’effort mondial de trouver une vie spirituelle pour le XXIème siècle !

 

 

Télécharger le billet hebdomadaire du 23 février en pdf.

 Vous souhaitez poursuivre la réflexion avec l’IAM, soucieux de contribuer à l’émergence de la civilisation africaine dans le monde contemporain, et contribuer aux travaux de l’atelier « Pluralisme religieux »? Contactez-nous ici.

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1 Comment

  1. Carroll Neto26 mai 2020

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