Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAF) 3: les défis qui interpellent

Mathurin DOUMBE EPEE

Président du Conseil d’Administration de Société Générale Cameroun

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’article de mon ami Manga KUOH dont l’état de services permet un avis éclairé sur la ZLECAF. Je partage très largement son avis sur différents points développés sur la dimension économique de la ZLECAF, tout en étant plus réservé face à la lourdeur de la tâche et à sa complexité.

La création de la ZLECAF est une projection rationnelle, nécessaire et utile pour le futur de l’Afrique. Elle emboîte ainsi le pas à tous les Chantres du Panafricanisme qui n’ont jamais cessé de répéter la même antienne après KWAME NKUMAH : « l’Afrique doit s’unir ». Au 21ème siècle, époque de tous les dangers, cet objectif devient une ardente obligation pour les générations actuelles et futures : c’est irréversible ! Mais que de défis à relever !

En dépit de l’enthousiasme légitime des commencements des Grandes Réalisations, c’est une tâche d’une complexité inouïe qui va demander « du temps long », comme le reconnait mon ami Manga, en raison de la multiplicité des étapes à franchir pour que la ZLECAF devienne opérationnelle, avant même d’aborder l’Union Douanière, une autre montagne à escalader…. Ce n’est pas pour autant que nous devons reculer, mais plutôt être conscients de ce véritable « Parcours du Combattant » des temps modernes.

Entre l’Option Statu-quo et l’Option ZLECAF, le choix est vite fait : la deuxième l’emporte très largement sur la première. En effet, face à un marché de 1,3 milliard de personnes, cette option permettrait d’augmenter de 15 % à 25 %, à l’horizon 2040, les échanges interafricains, le courant des affaires étant, jusqu’ à présent, orienté Sud-Nord. De surcroît, les échanges actuels portent essentiellement sur une économie africaine de traite, donc sans valeur ajoutée significative. Selon certains experts, les retombées de cette nouvelle donne sur le PIB, de l’ordre de 3 % à 6 %, pourraient améliorer sensiblement le bien-être des populations et donner une nouvelle dimension à l’Afrique et à son économie.    

En conséquence, l’enjeu économique de l’Option ZLECAF en vaut la peine, parce qu’incontournable.

Mais comment la réaliser ?

  • En réduisant les droits de douane entre pays membres
  • En diminuant les barrières non tarifaires « BNT »
  • En y introduisant des mesures de facilitation des échanges « MFE »
  • En privilégiant l’industrialisation de l’Afrique.

La réduction des droits de douane

Elle permettrait d’accroître sensiblement le niveau des échanges entre pays membres. Toutefois, certains craignent que cette réduction n’ait un effet récessif sur les recettes budgétaires, privant ainsi plusieurs pays d’un volant de ressources indispensables pour se maintenir à flot. D’autres, comme M. Kuoh, estiment que cette baisse ne sera que de courte durée, l’accroissement des volumes d’exportations devant combler au bout d’un certain temps (qui peut quand même durer des années…) ce déficit et dégager des ressources beaucoup plus importantes. Pour l’heure, aucune étude fiable n’a pu valider cette approche, les pays étant différents les uns des autres et les produits manufacturés, tout comme les biens et services pouvant être de nature différente. Toutefois, si tel devait être le cas, une réflexion devrait être menée pour trouver des mesures éventuelles de compensation afin de mieux arrimer les pays en difficulté à la ZLECAF.

La réduction des droits de douane doit également s’accompagner d’une vigilance particulière sur l’origine des importations. En effet, la Zone de Libre Échange, contrairement à l’Union Douanière, ne prévoyant pas un tarif extérieur commun, un bien importé peut bénéficier d’un tarif préférentiel de la part d’un pays membre pratiquant une taxation douanière réduite, et être ainsi réexporté dans d’autres pays de la ZLECAF avec la mention « Made in Africa », ce qui, évidemment, donnera lieu à une concurrence déloyale préjudiciable à la Zone. Il en va de même des produits semi finis, importés par tel pays à taxation douanière préférentielle. Ces produits peuvent subir des transformations sur place à des degrés divers et être réexportés dans la Zone avec le même label : « Made in Africa ». Certes, l’adoption des Règles d’origine, objet de l’Annexe II de l’Accord permet d’y faire face en définissant les critères y relatifs. Mais toujours est-il que des mesures de contrôle, de vérification et de sanctions devraient accompagner cet Accord pour dissuader toute velléité de contournement.

La diminution des barrières non tarifaires est tout aussi délicate, parce que variables selon les pays.  Seule une harmonisation à l’échelle du Continent peut y remédier. Mais comment l’appliquer et la faire respecter dans chacun des 55 pays ? En d’autres termes, de quels moyens dispose la ZLECAF pour assurer le respect de cette harmonisation ?

Selon M. Kuoh et à juste titre, la réussite de la ZLECAF se mesurera à sa capacité à promouvoir l’industrialisation des économies africaines, afin d’apporter une valeur ajoutée à leurs matières premières et mettre ainsi à la disposition des consommateurs du Continent des produits « Made in Africa », à coûts réduits, en raison des économies d’échelle, réduisant d’autant les importations des pays tiers. A cet effet et selon la théorie des avantages comparatifs, chaque pays se spécialisera dans ce qu’il sait faire de mieux, générant ainsi une division du travail à l’échelle continentale, source de réductions de coûts unitaires.

Mais comment faire cette répartition de travail à l’échelle continentale ? Comment faire cheminer ces biens d’un pays à un autre du Continent ? La quantité et la qualité des produits fabriqués seront-ils au rendez-vous pour permettre de les substituer aux produits d’importations, le consommateur africain devenant de plus en plus exigeant ?

Des prérequis seront donc nécessaires en termes d’infrastructures de transport (routier, ferroviaire, maritime, voire aérien), de formation professionnelle, mais aussi de fourniture suffisante en énergie pour éviter la vague fréquente des délestages. A ces prérequis il faut ajouter la maîtrise des NTIC pour favoriser les transactions. Pour l’heure, les 55 pays ne sont pas, à l’évidence, au même diapason et une remise à niveau sera par voie de conséquence, indispensable.

Qui dit Économie, dit aussi financement.

Quels sont les moyens dont dispose la ZLECAF pour faire face à ses objectifs continentaux ? Vaste sujet s’il en fut sur lequel il nous faudra tôt ou tard revenir. Toute structure digne de ce nom, devant se donner les moyens de ses ambitions.

Enfin, en se fixant un cap à 2065, l’Union Africaine a pris la pleine mesure du chemin à parcourir et des défis à relever aux plans institutionnel, politique, économique, social, financier et aussi de bonne gouvernance. Elle sait aussi que des conflits armés régionaux liés à des incertitudes politiques, voire religieuses, et accompagnés d’insécurité et d’exodes des populations dans bon nombre de zones, constituent des facteurs aggravants, préjudiciables à l’éclosion de la ZLECA.

Le pragmatisme devrait donc l’emporter sur un certain angélisme qui nous éloigne bien souvent de nos réalités et bride nos actions les plus nobles.

En conséquence, les débats ne font que commencer….

 

 

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