Hommage au Cardinal Christian Tumi: un destin hors du commun (par Mathurin Doumbé)

Par Mathurin DOUMBE EPEE

Premier  Président du Conseil d’Administration de l’Université Catholique d’Afrique Centrale « UCAC »

 

Son Eminence Christian, Cardinal WIYGHAN TUMI, Archevêque Emérite de Douala repose depuis le 20 Avril 2021 à la Cathédrale Saint Pierre et Saint Paul de la capitale économique, dans le caveau des Evêques, aux côté de ses quatre prédécesseurs.

C’est tout le Cameroun, toutes régions et confessions confondues, qui a pleuré et accompagné le  Cardinal à sa dernière demeure, soutenu par de nombreuses délégations  venues d’Afrique et d’ailleurs, faire leurs adieux à ce Prélat qui aura marqué son temps de son empreinte : des témoignages très émouvants sur son parcours et les actions qui ont jalonné sa vie. Tous s’accordaient sur son désir ardent de justice, de dialogue, d’ouverture, mais aussi de non compromission. Sa porte était toujours ouverte et ses mains tendues vers son prochain, pour l’écouter, dialoguer et, en cas de besoin, conseiller. Mais il savait aussi être ferme, incisif, voire vindicatif quand il réalisait que les valeurs humaines, sociales et démocratiques étaient bafouées.

  • De par sa stature, sa personnalité et son charisme, cet homme des causes justes en  imposait.
  • C’est sous son mandat en tant que Président de l’Association des Conférences Episcopales de l’Afrique Centrale « ACERAC » que furent posées les bases de la création de l’Université Catholique d’Afrique Centrale « UCAC », dont il fut, à la demande du Vatican, le Premier Grand Chancelier.

 J’ai donc cheminé dans les années 1989/90 et pendant presque 15 ans, avec le Cardinal TUMI. Pour avoir assisté aux premières réunions de la création de l’UCAC entre les Evêques d’Afrique Centrale et le Rectorat, je peux affirmer que la partie ne fut guère facile. D’abord en raison du regard quelque peu « sourcilleux » des Evêques issues d’autres Congrégations Religieuses  à l’égard de la Compagnie de Jésus, chargée de la création et de la gestion de l’Université. Mais aussi en raison de la complexité de ce dossier qui recoupe une multiplicité de domaines et requiert des compétences diverses,  pointues et variées, très éloignées des activités quotidiennes des Évêques.

C’est grâce à la hauteur de vue du Cardinal TUMI, à sa compréhension des problèmes contemporains et à la capacité qui était la sienne de se projeter sur l’avenir, que bien de problèmes ont été solutionnés et des malentendus dissipés. Progressivement les Évêques ont pris conscience de la réalité des faits,  des chiffres et des coûts, s’éloignant  ainsi  peu à peu  d’une approche souvent angélique et, à l’évidence, hors-sol. La création d’une Université est une œuvre complexe où des prérequis se conjuguent en termes de plans, de conception architecturale, d’organisation, de recherche de financement et de partenariat, de mise au point des programmes, de sélections des enseignants titulaires et vacataires, donc nécessairement d’élaboration d’un « Business Plan » adossé sur des données, notamment financières, prévisionnelles.

Ce fut là un véritable séisme culturel pour les Évêques qui, sortant ainsi de leur univers, ont dû entrer de plein pied dans un monde, nécessairement réel, où il fallait parler aussi d’argent. Il fallait surtout éviter de leur donner l’impression que leur « bébé » leur échappait… En 1991, rémunérer un Professeur d’Université  400.000 fcfa/mois paraissait surréaliste à cet Évêque qui ne donnait que 50.000 fcfa/mois à ses Prêtres ! Demander aux Évêques d’honorer les frais de scolarité de leurs Séminaristes alors qu’ils étaient les « Founding Fathers » de l’Institution, relevait d’une vision kafkaïenne…

Dès lors,  l’UCAC ne remerciera jamais assez le Cardinal TUMI pour le temps passé à dialoguer avec ses Pairs et à les convaincre du bien-fondé des éléments contenus dans le dossier, bref  les rassurer sur la faisabilité du Projet et permettre ainsi qu’il aille jusqu’au bout  et que l’UCAC devienne une réalité effective : elle fait aujourd’hui la fierté de tous en zone CEMAC, voire au-delà : l’un des rares programmes intégrateurs opérationnels de la Sous-Région.

Ainsi donc, quoi de plus normal que le Grand Chancelier ait pris l’habitude de s’adresser aux Étudiants, lors des rentrées académiques, pour leur rappeler ce qu’on attendait d’eux et qu’au-delà d’un Savoir purement académique, il fallait y adjoindre une éthique et des valeurs morales.

Un jour, le Cardinal TUMI me dira que le Pape Jean-Paul II, très satisfait de l’UCAC, le dépêchera au Nigéria pour donner à ses Pairs Nigérians la clé de ce succès. A ma question de savoir ce qu’il leur a dit, il me répondit en souriant : « mais tout simplement  faire confiance à des laïcs engagés et compétents, l’Eglise ne sachant et ne pouvant tout faire ». Le Cardinal fera aussi des pieds et des mains pour que l’UCAC vienne en aide par des bourses, à des Étudiants nécessiteux, ce que fit admirablement le Père Maugenest  avec la création de la Fondation Saint-Augustin.

Toujours soucieux de la formation de la jeunesse, il poussera et encouragera son successeur à l’Archevêché de DOUALA, Mgr Samuel KLEDA à créer  l’UNIVERSITÉ CATHOLIQUE SAINT JERÔME, ouvrant ainsi un débouché universitaire  à de nombreux jeunes n’ayant  pu accéder à l’UCAC, en raison du  nombre limité de places.

Telle est l’autre tranche de la vie du Cardinal TUMI, vraisemblablement peu connue du grand public. A  la demande de ROME, il consacrera beaucoup de son temps aux nouvelles générations, soucieux qu’il était de la transmission du Savoir et des valeurs morales.

C’est aussi avec la même détermination qu’il s’est impliqué dans l’avènement et le processus du jeu démocratique au Cameroun, occasionnant ainsi de sérieuses  interrogations du Gouvernement sur ses objectifs réels… Il s’investira également dans la recherche de solutions pacifiques  dans la crise dite « Anglophone » qui s’enlise depuis plus de trois ans dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun « NOSO ». A l’origine,  simple revendication corporatiste des Avocats natifs de ces  Régions, sur la prééminence de la langue française sur la langue anglaise, notamment   dans les documents et textes juridiques, ce mécontentement  prit rapidement la forme d’un sentiment de marginalisation de la part de nos compatriotes anglophones et se transforma en rebellions armées, sous forme d’attentats, d’incendies de maisons, d’écoles et d’éliminations physiques auxquels répondaient à leur tour les Forces de Défense et de Sécurité. Les revendications politiques devinrent plus précises, mais diverses : le Fédéralisme pour les uns,  la Sécession pour les autres (avec la création d’un Etat dénommé « AMBAZONIE ») et le maintien d’un État Unitaire, faut-il un tantinet jacobin, pour un troisième camp. En marge de ces revendications sont apparus  des bandits de grands chemins  faisant régner la terreur et l’insécurité dans le NOSO, sur fond de massacres, d’enlèvements et de demandes de rançon. En définitive, une situation inextricable avec des milliers de morts et l’exode des populations. 

Face à ce dur constat, le Cardinal TUMI  prendra son bâton de Pèlerin pour aider à ramener  la Paix dans cette partie du Territoire National. Pour lui, seul le dialogue pouvait sortir le pays de cette crise. Dès lors, autant il était  sévère vis-à-vis du Gouvernement pour avoir laissé pourrir la situation, autant il prendra l’initiative d’inviter toutes les parties prenantes du NOSO, donc anglophones, à s’organiser et à se réunir autour d’une Table Ronde. Le but étant de s’accorder sur  leurs revendications et  désigner  leurs Représentants au Grand dialogue national, inclusif et constructif avec le Gouvernement, afin de sortir, enfin,  de cette impasse, source de meurtrissures  pour les populations du NOSO. Pour des raisons diverses et variées, cette rencontre préliminaire n’aura jamais lieu….

« Il est venu vers les siens, et ….. »

A plusieurs reprises, le Cardinal se rendra dans le NOSO, sa région natale, pour faire taire les armes et inviter au dialogue : en vain ! Il fut même enlevé, ses ravisseurs étant persuadés qu’il prenait fait et cause pour le « Gouvernement de Yaoundé ». Devant leur « Tribunal »,  il fut invité à clarifier sa position. Bien plus, ils lui demandèrent d’être leur défenseur auprès du Gouvernement. Il restera ferme sur ses convictions, privilégiant le Dialogue aux armes.

D’un âge avancé, il ne sortira pas indemne physiquement de ces épreuves. Lui qui aimait répéter qu’il était persuadé qu’il serait centenaire, tout comme sa maman qui (décédée depuis quelques années), faisait encore de la couture sans lunettes à plus de 100 ans révolus… Il n’aura pas cette opportunité : il nous quittera le 03 Avril 2021 dans sa 91ème année.

Au total, ce ne sont là que quelques tranches de la vie de Christian, Cardinal TUMI qui, né en 1930 à KIKAIKELAKI dans le Nord-Ouest (KUMBO),  a été ordonné Prêtre en 1966 à BUEA, nommé Evêque de YAGOUA en 1979/82, Archevêque Coadjuteur et Archevêque de GAROUA en 1982/91 et Archevêque de DOUALA en 1991/2009.

Dans l’intervalle, il sera fait Cardinal par le Pape Jean-Paul II en juin 1998 avec le titre de Cardinal- Prêtre de Santi Martiri dell’Uganda a Poggio Ameno : premier et unique Cardinal du Cameroun à ce jour.

 Archevêque Emérite de DOUALA, Dieu l’a rappelé à lui :

Un  Destin hors du commun qui aura marqué toute une époque.  

Requiescat in Pace !  

  

Share with:


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to top